Trois journalistes retraités du quotidien La Montagne se sont réunis le 27 mai au Pôle 22 bis pour partager leurs expériences et anecdotes sur les événements de Mai 68. Jean-Pierre Rouger, Henri Bouniol et Daniel Desthomas ont ainsi fait découvrir à leur public leur histoire : journaliste en période de révolte.

A cette époque, les journaux d’information télévisés sont lourdement contrôlés par le pouvoir en place. Le 6 mai 1968, le mouvement parisien a gagné Clermont-Ferrand. Les étudiants clermontois se sont réunis et ont occupé la fac de Lettres l’après-midi même. Mais ce soulèvement laisse tout le monde sans voix. « On n’a pas imaginé une seule fois l’ampleur qu’allait prendre cet événement », avoue Daniel, qui était journaliste et a assisté à la montée en pression du mouvement. « Il est interdit d’interdire », voici un des slogans les plus célèbres des révoltes de Mai 68, lorsque la jeunesse aspirait à la liberté. Même si les manifestations auvergnates sont considérées comme très calmes pour les Parisiens, les universités clermontoises sont parmi les premières universités de province à se soulever. Les étudiants sont déjà très politisés et c’est leur force. L’Agec (l’association générale des étudiants de Clermont-Ferrand) est une branche de l’Unef (Union nationale des étudiants de France). Ces deux groupements organiseront la plupart des manifestations. La pression monte, mais les étudiants syndicalisés de l’Unef ne sont pas violents durant les manifestations comme en a témoigné Gérard Lenoir, ancien président de l’Unef, présent lors de cette conférence.
La ville de Clermont-Ferrand vit des moments intenses en mai et juin 68. De grandes manifestations enflamment la capitale auvergnate. Les banderoles, taillées dans des draps, portent les slogans étudiants et ceux de la classe ouvrière. On défile côte à côte et on arrive au pied de la Préfecture. Le 13 mai, plus de 20 000 personnes sont comptabilisées. Du jamais vu ! Le 20 mai, La Montagne titre : « Près de 40.000 salariés sont en grève à Clermont-Ferrand. »

A la rédaction aussi, le désordre

Les médias audio-visuels ne sont pas libres. L’ORTF a le monopole de diffusion, en contact direct quotidien avec le ministère de l’Information qui contrôle la parole. Certaines émissions étudiantes sont déprogrammées. Par moment l’écran est noir, révélant la censure qui pèse sur la télévision. Ce sont les radios périphériques qui suivent en direct les événements notamment Europe 1, RTL (radio Luxembourg) ou encore RMC (radio Monte-Carlo). Elles bénéficient rapidement d’une forte audience, attirant les jeunes en offrant un autre point de vue que celui de la radio publique française.
Pendant ce temps, la presse écrite ne sait pas comment réagir. La situation est tendue pour les médias. C’est là que certains s’élèvent contre la pression. Mais à quel prix ? Une grève a été déclenchée à l’ORTF contre la censure et la modification de deux reportages sur les mouvements étudiants qui offraient des images inédites des précédentes manifestations. Plus de 60 journalistes sont congédiés. A La Montagne, le quotidien régional, le contenu serait « neutre » d’après Jean-Pierre et Daniel. Les journalistes avouent qu’ils n’avaient pas la maturité nécessaire pour interpréter les faits. « Ce n’est qu’après avoir étudié mai 68, que j’ai compris les tenants et les aboutissants. » admet Jean-Pierre. Un intervenant ajoute : « Quelquefois, il y a une grande différence entre la température ressentie et la température réelle ». La Montagne se fait l’écho de l’ordre de grève de l’Unef. Nombre de communiqués de tous bords sont adressés au journal : PCF, socialistes, maos, trotskistes, … Et dans cette rédaction majoritairement de gauche, des luttes intestines explosent. Les journalistes présents évoquent une ambiance qui « bouillonnait ». Jean-Pierre raconte qu’un journaliste de la rédaction est monté sur la table et criait contre les « vieux gaullistes. » Il faut par ailleurs noter que La Montagne a donné aux étudiants des grands bandeaux de papier pour en faire des dazibaos. A ce moment-là, toute la hiérarchie avait disparu, laissant les manettes aux chefs de service. Il n’y a plus d’autorité au sein du journal, les journalistes se chargent eux-mêmes de la publication. Cette année 1968 a non seulement secoué le fonctionnement traditionnel des rédactions mais aussi annoncé la disparition progressive du ministère de l’Information.

Marine Gadoud

(illustr. : Graffiti dans la ville de Menton (Côte d’Azur) ©Espencat/Wikimédia Commons)